Artpress, janvier 2018

Partant d’une réflexion de Paul B. Preciado d’après Tonio Negri, l’exposition oppose la furtivité des stratégies renardes (la construction d’identités par ruse)   à la brutalité des stratégies lionnes (l’assignation de normes par la force). L’exposition dit son refus de tout rapport d’autorité. Les œuvres historiques, empruntées aux collections du Centre Pompidou (Pane, Nauman, Burroughs, Schneider…), côtoient celles de nouveaux artistes, parmi lesquels se distinguent Laura Bottereau & Marine Fiquet, par leur tendre impertinence, ou Arthur Gilet, dont les choix plastiques (céramiques kitsch, cartes de saints decoupées) disent avec justesse la difficulté à se séparer des personnages familiers qui hantent nos identités.

La marginalité des œuvres est redoublée par la présence d’artistes singuliers qui, à l’image de La Bourette, de Jean-Luc Verna, de Steven Cohen ou de Nadège Piton par SMITH, sont de véritables sculptures vivantes, marquées par la fluidité des genres et le goût de la métamorphose. lls font signe vers une réorganisation des attributs identitaires, articulée à la question de la redéfinition du féminin. En regard, les vagins de Béatrice Cussol ou d’Annette Messager valent toutes les lèvres des féministes, quand les collages pop-intimistes de Roberta Marrero ou les archives d’Annie Sprinkle concourent au renversement des ordres phallocrates.

À l’identité comme acte politique, objet de revendication, Traversées renarde prefère la subjectivation comme acte psychique. L’imaginaire devient une voie d’expression privilégiée, à l’image des mondes fantastiques d’Anne Brégeaut, de la memoire rêvée d’Edi Dubien, des fantasmes indomptés de Virginie Trastour ou du bel autoportrait à la licorne d’Abel Techer qui, tous, affirment ce que l’invention de soi peut avoir d’émancipateur. Sans sacrifier le caractère désinvolte des propositions, l’exposition affiche une douceur d’ensemble qui évite tout effet d’effraction . Le terrier du renard finit ainsi par devenir une maisonnée intime et rassurante, avec ses cadres fantaisie, ses bibelots précieux, dont le totem de Skall, et ses animaux empaillés,   et   le renard en cage de Claude Levêque, rarement montré. A l’ image de l’installation de Clarisse Tranchard, des mannequins de femme qui font l’épreuve de leur devenir-­biche, le domestique négocie toujours avec le sauvage, le discours militant avec l’autodérision. Les pièces les plus politiques se donnent même sur un mode ludique, mobilisant les codes du jeu de rôle (les interprétations transculturelles de Charlotte El Moussaed), du théâtre (le reenactment d’Alfred Jarry par Tom de Pekin), de la performance (le manifeste vidéo de Pascal Lièvre) ou du masque (Pierre Ardouvin).

Deux autres volets complètent ce projet : la Box organise la judicieuse rencontre entre Shut the Fuck Up, le triptyque vidéo de General Idea, et l’œuvre plastique d’Hippolyte Hengen, tandis que Bandits-Mages investit le Château d’eau/Château d’art avec un ambitieux projet évolutif, vidéo et performatif, réunissant des étudiants en art autour des œuvres de Vito Acconci, William Burroughs ou Tony Oursler. II y souffle comme un vent d’indiscipline qui désinhibe les imaginaires renards.

Florian Gaité